Etude de cas sur une thématique (référé contractuel, marché public à procédure adaptée)

Sujet : dans le cadre d'une procédure de marché public adaptée, un candidat évincé demande au juge de référé contractuel d'annuler le marché au motif que la collectivité avait manqué à ses obligations en matière de publicité et de mise en concurrence : il reproche à la collectivité de ne pas avoir notifié aux opérateurs économiques ayant présenté une offre la décision d'attribution avant la signature du contrat, et de ne pas avoir respecté le délai de 11 jours après cette publication.

Pour répondre à cette étude de cas, nous partons de l'hypothèse que le candidat évincé n'invoque que le seul moyen d'absence de notification de la décision d'attribution avant la signature du contrat, et l'absence de respect d'un délai de 11 jours après cette publication, seuls éléments figurant dans l'énoncé.

 

1. L'absence d'obligation du respect d'un délai de « standstill » en MAPA

L'article 80 du Code des marchés publics impose une notification de la décision de rejet aux candidats évincés en précisant « le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre ». Par ailleurs, il est indiqué à ce même article qu'un « délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l'ensemble des candidats intéressés ».

Néanmoins, la particularité en l'espèce, tient à la nature de la procédure de passation du marché public en litige. Il s'agit en effet d'une procédure adaptée. Or, ce faisant, les règles sont plus souples, et notamment au titre de l'obligation d'information des candidats évincés rappelées ci-dessus, qui ne concernent que les procédures formalisées (pour les collectivités territoriales ou leurs groupements le seuil est de 200 000 euros pour les marchés de services et de fournitures, et 5 000 000 euros pour les marchés de travaux).

Il n'y a aurait donc aucune obligation en procédure adaptée, comme c'est le cas en l'espèce. Cette absence d'obligation a été rappelée par le célèbre arrêt Grand Port Maritime du Havre, qui fait référence en la matière, celui-ci ayant fixé les principales règles applicables en matière de référé contractuel (CE, 7e et 2e ss-sect., 19 janv. 2011, n° 343435, Sté Grand port maritime du Havre c/ Sté Philippe Lassarat) :

Considérant que, s'agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord cadre ou un système d'acquisition dynamique (1) ;

Considérant que le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du Code de justice administrative, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, alors qu'un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ;

Outre d'indiquer que les MAPA ne sont pas soumis à l'obligation de notification de la décision d'attribution, l'arrêt Grand Port Maritime du Havre attribue au référé contractuel un champ d'application extrêmement restrictif, les moyens invocables étant limitativement énumérés par les articles L.551-18 et L.551-20 du CJA, c'est-à-dire ceux pouvant donner lieu à annulation.

En tout état de cause, l'absence des mesures invoquées par le requérant, en MAPA, seront écartées par le juge des référés contractuels, car non obligatoires.

L'arrêt en question est d'ailleurs sur le plan factuel encore plus clair, puisque d'une part, comme en l'espèce, le Grand Port maritime du Havre n'avait « pas rendu publique son intention de conclure le marché et observé un délai de onze jours après cette publication ». Or le Conseil d'Etat compte tenu du considérant de principe qu'il a posé (Cf. supra), décide qu'en indiquant que « le Grand port maritime du Havre n'avait pas permis à la société Philippe Lassarat d'engager un référé précontractuel et, d'autre part, qu'en retenant une offre non conforme au règlement de la consultation, il avait commis un manquement à ses obligations de mise en concurrence ayant affecté les chances de la société Philippe Lassarat d'obtenir le contrat », le juge des référés du tribunal administratif de Rouen avait « commis une erreur de droit » et que par suite, « l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 6 septembre 2010 » devait être annulée.

2. Le respect d'une publication et d'un délai préalables à la signature : une simple vocation à rendre le référé contractuel irrecevable

Le délai de 11 jours invoqué peut également renvoyer au délai prescrit par le 3° de l'article 80 du Code des marchés publics :

« 3° Pour rendre applicables les dispositions du premier alinéa de l'article L. 551-15 du code de justice administrative, le pouvoir adjudicateur ayant fait publier l'avis prévu par l'article 40-1 du présent code respecte un délai d'au moins onze jours entre la date de publication de cet avis et la date de conclusion du marché».

En l'occurrence, l'article 40-1 du Code des marchés publics prescrit pour ce faire de publier « au Journal officiel de l'Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne » sur « son intention de conclure un marché ou un accord-cadre dispensé d'obligations de publicité par l'effet des dispositions du présent code ou passé en application des articles 28 ou 30 »

En effet, cet avis d'attribution est utile, car il permet de fermer le droit aux candidats évincés d'exercer un référé contractuel « à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité » (article L.551-15 du CJA).

En d'autres termes, le respect d'un délai de 11 jours entre la date de publication et la conclusion du contrat, n'aurait eu donc pour seul effet que de rendre les concurrents évincés irrecevables à exercer un référé contractuel, conformément à l'article L.551-15.

En effet, le raisonnement est inversé par rapport aux marchés en procédure formalisée dans laquelle le recours n'est recevable que si l'absence d'introduction d'un référé précontractuel résulte d'une attitude dolosive de l'administration. En MAPA, les candidats évincés sont toujours recevables, sauf si le pouvoir adjudicateur s'est volontairement astreint à ces mesures de publicité, puisqu'en informant les candidats il leur permet en théorie d'agir.

En aucun cas il ne s'agit d'une obligation pour le pouvoir adjudicateur. Ce faisant, en l'absence de telles mesures, certes le candidat évincé est recevable à exercer un référé contractuel, mais le moyen tiré de l'absence de décision d'attribution et du respect du délai de 11 jours ne pourra être accueilli.

En conclusion, en l'état actuel des textes et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, extrêmement restrictive sur les moyens invocables devant le juge des référés contractuels, le moyen tiré de l'absence d'obligation de notifier le rejet de leurs offres aux candidats évincés, et par suite de l'absence d'obligation du respect d'un délai de standstill, dans le cadre d'une procédure adaptée, devrait à mon sens être imparable, et conduire le juge à rejeter le référé contractuel, sur le fondement de l'arrêt Grand Port Maritime du Havre, sous réserves :

- de l'absence d'indication dans les documents de consultation du respect d'un délai entre la notification du rejet et la signature du contrat, auquel le pouvoir adjudicateur se serait alors spontanément imposé, et qu'il devait dés lors respecter (v. réservant expressément une telle hypothèse : TA Lille, 10 févr. 2011, Req. n°1100422, Sté Artois Équipement Collectivités ; sur l'hypothèse d'une telle indication dans la lettre de rejet : TA Caen, 25 mai 2011, Req. n°1101052, Société Faste).

- de la présence d'un autre vice de procédure tenant à l'absence totale de mesure de publicité obligatoire, ou également s'il s'agit d'un accord-cadre ou système d'acquisition dynamique en raison du non respect des modalités de remise en concurrence

- le cas échéant du non respect de l'ordonnance du juge des référés précontractuels.

Par ailleurs, certains tribunaux ou cour administrative d'appel semblent ne pas être enclins à respecter le principe dégagé par le Conseil d'Etat relatif à l'absence d'obligation d'information en MAPA (CAA Bordeaux, 7 juin 2011, Req. n°09BX02775 ; CAA Marseille, 19 décembre 2011, Req. n°09MA02011 Société Hexagone 2000 ; TA Cergy Pontoise, 3e Ch. 27 avril 2012, Req. 1104926, Gachi / Commune de Villeneuve la Garenne). Le pouvoir adjudicateur n'est donc pas à l'abri d'être confronté à un tel juge en 1ère instance, lequel imposerait alors la notification du rejet et le respect, a minima, d'un « délai raisonnable », à défaut de quoi l'annulation serait encourue, à condition toutefois au surplus, que ce dernier démontre que la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qu'il invoquerait ait affecté ses chances d'obtenir le contrat (plus restrictif que la simple démonstration d'un intérêt lésé en référé précontractuel).

(1) Article L551-18: « Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.

La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique.

Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat »

Gauthier GAVEL

Juriste

SCP Manuel GROS, Héloïse HICTER, et Associés

 

Le 8 mars 2013

Publié le 08 avril 2013