Tribunal administratif de Paris, 26 janvier 2010, n°0609519

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Les dispositions communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes ne sont pas applicables à une ressortissante d'Etat tiers, conjointe d'un ressortissant communautaire, dès lors qu'il n'est pas établi que ce dernier ait fait usage de son droit de libre-circulation.

Voilà ce qu'a été amené à juger le Tribunal administratif de Paris, dans un jugement en date du 26 janvier 2010 !

En l'espèce, une ressortissante péruvienne, conjointe d'un ressortissant français résidant en France, demandait au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le Ministre de la santé et des solidarités avait rejeté sa demande d'autorisation de plein exercice de la médecine en France.

Titulaire d'un diplôme de médecine obtenu au Pérou en 2002, la requérante avait suivi une spécialisation en chirurgie cardiaque en France à compter du mois de novembre 2002 et, le 16 mars 2006, son diplôme péruvien avait été homologué par le Ministre de l'éducation et des sciences espagnol.

A l'appui de sa requête, elle soutenait que les dispositions de l'article 23 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 obligent les Etats membres à accorder au conjoint d'un ressortissant communautaire les mêmes droits que ceux dont bénéficie ce dernier en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes et de liberté d'établissement.

Le Tribunal administratif de Paris, par jugement du 27 mars 2007 a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice des Communautés Européennes la question préjudicielle suivante : « les dispositions de l'article 23 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 permettent-elles au ressortissant d'un Etat tiers, conjoint d'un ressortissant communautaire, de se prévaloir des règles communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la liberté d'établissement, et obligent-elles les autorités compétentes de l'Etat membre auprès duquel l'autorisation d'exercice est sollicitée de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, même s'ils ont été obtenu en dehors de l'Union européenne, et dès lors au moins qu'ils ont fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre Etat membre, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en procédant à une comparaison entre, d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience, et d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale ? »

La Cour de justice des Communautés européennes, par une ordonnance du 21 janvier 2008, a considéré que « L'article 23 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (...), ne s'oppose pas à ce qu'un État membre refuse à un ressortissant d'un État tiers, qui est le conjoint d'un ressortissant communautaire n'ayant pas fait usage de son droit de libre circulation, de se prévaloir des règles communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la liberté d'établissement, et n'oblige pas les autorités compétentes de l'État membre auprès duquel l'autorisation d'exercice d'une profession réglementée est sollicitée de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, même s'ils ont été obtenus en dehors de l'Union européenne, et dès lors au moins qu'ils ont fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre État membre, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en procédant à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience, et, d'autre part, les connaissances et les qualifications exigées par la législation nationale » (C-229/07).

L'article 23 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 prévoit que : « Les membres de la famille du citoyen de l'Union, quelle que soit leur nationalité, qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent dans un État membre, ont le droit d'y entamer une activité lucrative à titre de travailleur salarié ou de non salarié ».

Par ailleurs, les dispositions de la directive 93/16, telles que modifiées par la directive 2001/19 régissent la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes. En vertu de ces directives, les Etats membres conservent la possibilité d'accorder sur leur territoire, selon la réglementation, l'accès aux activités de médecin et leur exercice aux titulaires de diplômes qui n'ont pas été obtenu dans un Etat membre. La reconnaissance par un Etat membre de titres délivrés par un Etat tiers, même s'ils ont été reconnus comme équivalents dans un Etat membre, n'engage cependant pas les autres Etats membres dans leur décision (CJCE, 6 février 1984, arrêt Haim, C-319/92). Il leur appartient alors de prendre en compte l'ensemble des diplômes, certificats ou titres, ainsi que l'expérience de l'intéressé, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et d'autre part les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale (CJCE, 14 septembre 2000, arrêt Hocsman, C-298/98).

Il semblait alors évident qu'un ressortissant d'Etat tiers, conjoint d'un citoyen de l'Union, puisse se prévaloir, au regard des dispositions qui précèdent, des règles communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la liberté d'établissement, et prétendre à l'exercice de la médecine salariée en France. Et ce d'autant plus qu'en l'espèce la requérante est titulaire du diplôme espagnol de médecin par équivalence, a suivi en France à compter du mois de novembre 2002 jusqu'au mois d'octobre 2005 une spécialisation en chirurgie cardiaque ainsi qu'un master 1 de génétique humaine et biologie moléculaire de novembre 2005 à octobre 2006 et était interne en chirurgie cardiaque au CHRU de Lille de 2002 à 2004.

Le Tribunal administratif de Paris a toutefois considéré que le bénéfice pour un ressortissant d'Etat tiers des droits attachés et découlant de la qualité de conjoint de ressortissant communautaire, était conditionné à l'usage par ce dernier de son droit de libre circulation :

« Il est constant que Mme M, ressortissante péruvienne, a obtenu un diplôme de médecin au Pérou le 27 mars 2002, qu'elle a suivi une spécialisation en chirurgie cardiaque en France à compter du mois de novembre 2002, qu'elle a épousé un ressortissant français le 23 juillet 2005, que son diplôme péruvien a été homologué par le ministère de l'éducation et des sciences espagnol le 16 mars 2006 ; que, cependant, il n'est pas établi ni même allégué, que son conjoint ait fait usage de son droit de libre-circulation ; qu'ainsi, Mme M. n'est pas fondée à soutenir que le ministre de la santé aurait méconnu les dispositions communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes et à demander pour ce motif l'annulation de la décision attaquées ».

Les membres de familles d'un citoyen de l'Union, ressortissant d'un Etat tiers, n'auraient alors que des droits dérivés, ne pouvant être revendiqués que si le citoyen de l'union qu'ils accompagnent a lui-même exercé son droit de circulation et de séjour sur le territoire d'un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité. Les réglementations communautaires en matière de circulation ne s'appliqueraient donc pas aux situations purement internes à un Etat membre.

(Tribunal administratif de Paris, 26 janvier 2010, n°0609519).

Sophie Danset-Vergoten

Publié le 11 février 2010