Les responsabilités des maires au regard du changement climatique (III)

Vous êtes ici

Les responsabilités des maires1 au regard du changement climatique (III)

 

Manuel GROS

Professeur à l’Université de Lille2

Avocat au barreau de Lille

 

Résumé du I et du II : La responsabilité pénale spécifique est encore en voie de développement, et difficilement applicable au changement climatique,  faute de texte et donc d’infraction

Faute de contenu précis au dommage écologique et faute de preuve du lien de causalité avec le réchauffement, la responsabilité civile est théoriquement difficile sans texte créant ce contenu et présumant le lien de causalité

Cela n’exlut pas quelques pistes.

 

Quelques pistes de responsabilités administratives ?

 

La responsabilité administrative s'entend comme la responsabilité civile, patrimoniale de l'administration, à l'exclusion de la responsabilité pénale de cette dernière ou de ses agents à titre personnel

Pour ce qui concerne la responsabilité administrative environnementale, dans le même esprit qu’en matière civile, les mécanismes de réparation des dommages environnementaux se sont servis des fondements existants en droit administratif général et les ont appliqués en droit de l’environnement. Sur ces bases, la jurisprudence a pu construire un régime de responsabilité fondé principalement sur la faute, mais n'écartant pas les hypothèses de responsabilité sans faute.

Pour l’essentiel, la responsabilité pour faute sera celle de la puissance publique en cas de faute dans la « police environnementale » (a), tandis que le régime de responsabilité sans faute touchera principalement le domaine nouveau, des dommages causés par la législation ou l’activité de protection de la nature (b).

 

 

a- La responsabilité pour faute de « police environnementale »

 

La conduite du changement climatique, c’est évidemment aussi la police environnementale. La notion de «police environnementale» n’existe pas réellement et inclut à la fois les activités de police générale (relevant principalement des maires et en cas de carence, des préfets, dans le cadre des dispositions des articles L 2212-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales) et des nombreuses activités de polices dites spéciales (relevant pour l’essentiel des préfets : installations classées, police des mines, police de la chasse, polices des eaux, immeubles menaçant ruine etc…et parfois des maires).

L’hypothèse de départ sera donc celle de la survenance d’un dommage environnemental, nécessairement à une victime individualisée, du fait d’une faute commise dans le cadre de cette « police environnementale ».

En théorie, en droit administratif, la faute à retenir sera la faute de service qui seule sera une faute de l'administration par opposition à celle de ses agents. Se pose également la question du degré de faute exigée, car dans le régime de la responsabilité administrative, une jurisprudence – aujourd’hui d’ailleurs en voie de quasi-disparition, sauf pour la police - distinguait les hypothèses dans lesquelles l’administration ne pouvait être responsable que sur faute lourde, de celle où une simple faute suffisait. Le critère de déport entre responsabilité sur faute simple ou lourde est celui de la difficulté du service de police. Les opérations matérielles d'exécution, sur le terrain, justifient par leur difficulté pour le service, le régime favorable de la seule faute lourde. En revanche, les activités de police purement "juridiques", telles que l'essentiel des mesures de police administrative, jugées moins imprégnées d'urgence et de difficulté, relèvent de la faute simple.

Au regard de la police environnementale ce sera cette deuxième hypothèse.

C’est ainsi par exemple que dans l’affaire de l’amiante, l’État a été reconnu responsable de n’avoir pas réglementé suffisamment tôt l’utilisation professionnelle de l’amiante (CAA Marseille 18 octobre 2001, Bourdignon, revue environnement janvier 2002.8), comme il a été également jugé responsable des pollutions issues des « marées vertes » à raison de son absence de réglementation et d’application des normes européennes en matière de nitrate (CAA Nantes 1er décembre 2009, revue juridique de l'environnement 2011.271). Tout reste ainsi question d’appréciation qui dépasse même les strictes règles de compétence : un maire peut engager la responsabilité de sa commune pour n’avoir pas signalé à l’autorité de police compétente (le préfet) un manquement grave d’une installation classée sur le territoire de sa commune (Conseil d’Etat 13 juillet 2007 commune de Taverny, AJDA 2007.2266).

L’on peut penser que le fondement de la faute de « police environnementale » au sens large connaîtra dans les années à venir un certain développement, sous la pression combinée de l’opinion publique et des associations de défenses de l’environnement, car il est plus facile d’identifier l’autorité de police, territorialement ou matériellement compétente, et surtout de la poursuivre, que d’aller « chercher » l’auteur principal d’un dommage environnemental.

 

b - Les régimes de responsabilité administrative environnementale sans faute :

 

La responsabilité sans faute de l’administration repose sur le fondement principal du risque qu’elle fait courir à ses administrés.

On écartera les dommages de travaux publics, qui sont inapplicables à la question climatique . En revanche, la responsabilité du fait des réglementations et activités de protection de la nature, semble être un cadre idoine au changement climatique :

En effet, si la prise d'actes illégaux doit être regardée comme une faute de service, à ce titre susceptible d'engager la responsabilité de l'administration sur le terrain de la faute, la jurisprudence a ajouté à cette responsabilité du fait des actes administratifs une responsabilité sans faute., fondée sur un principe de solidarité de la collectivité publique à l’égard des citoyens.

Parfois, la décision individuelle légale, mais constitutive d'un préjudice spécial et anormal, repose sur une loi ou un acte administratif réglementaire. Précisément, les réglementations ou activités de protection de la nature que l’État mène depuis l’émergence des volontés internationales et nationales de protection de la nature à la suite des grandes conférences, sont susceptibles de causer des préjudices à autrui.

Le fondement de la responsabilité sans faute de l’administration du fait de ses activités légales trouve là un grand secteur potentiel d’application, mais qui concerne plus les autorités de l’État que les collectivités locales en général, et les maires en particulier.

La responsabilité d’un maire sur ce fondement, appliquée au réchauffement climatique, conserve son utilité pour la responsabilité du fait des actes administratifs réglementaires légaux, lorsqu'ils créent des dommages que le principe d'égalité devant les charges publiques impose d'indemniser. Ainsi, une mesure de police créant des itinéraires imposés pour se rendre sur un site touristique, bien que justifiée pour des raisons de sécurité, et créant un préjudice spécial et anormal à l'exploitant d'un magasin de souvenir, justifie l'indemnisation de l'exploitant victime indirecte des conséquences de la mesure (CE, 22 février 1963, Commune de Gavarnie / Sieur Benne, R. 113).

On peut ainsi envisager qu’un maire (c’est-à-dire la commune) puisse voir sa responsabilité engagée du fait de sa propre réglementation, même légale, des lors qu’elle causerait un préjudice « climatique » à la fois anormal et spécial.

On reste naturellement dans la prospective.

On peut penser que , comme en matière judiciaire, les associations de défenses de l’environnement auront à jouer un rôle à jouer, puisqu’elle disposent, en vertu de la loi, d’un intérêt pour agir spécifique, précisé à l’article L142-1 du Code de l’environnement.

On notera que la prescription reste trentenaire en la matière, ce qui est rarissime depuis la réforme des prescriptions, devant la juridiction administrative en application d’une importante jurisprudence du Conseil d’État en 2005 (Conseil d'État, assemblée, 8 juillet 2005, Alusuisse Lonza France, Revue droit de l’environnement n°132, note Manuel GROS David DEHARBE « prescrire la dépollution ».).

 

En conclusion, une responsabilité pénale spécifique encore en voie de développement, est difficilement applicable au changement climatique faute de texte.

S’agissant de la responsabilité administrative des maires et de la « conduite du changement climatique, la parole sera sans doute donnée au fur et à mesure au juge administratif.

Ainsi il y a encore un monde entre les enjeux de la COB 2015 et les réalités du prétoire !

 

1-On étendra les présents propos à tous les exécutifs locaux, notamment les Présidents d’intercommunalités

Publié le 21 décembre 2016