Imprécision d'un plan de prévention des risques et principes de sécurité juridique.

Vous êtes ici

Le tribunal administratif de Lille vient de rendre une décision importante au regard des conditions du contrôle de la légalité des plans de prévention des risques naturels d'inondations en général, et du principe de sécurité juridique en particulier.

Par jugement en date du 13 octobre 2011, cette juridiction, saisie par la commune de Bruay la Buissière et par une association de défense du patrimoine bruaysien, vient d'annuler l'arrêté préfectoral par lequel le préfet du Pas -de-Calais avait approuvé le plan de prévention des risques naturels d'inondation de la vallée de la Lawe.

Cette annulation d'un P.P.R constitue quasiment une première en France, surtout quand on l'analyse avec précision.

En effet, d'une manière générale, le tribunal administratif de Lille à exercé un contrôle formel classique en matière d'excès de pouvoir, notamment sur les conditions de déroulement des enquêtes publiques préalables à l'approbation de tels plans de prévention.

En premier lieu, il sanctionne un défaut de consultation de l'ensemble des maires des communes incluses dans le périmètre du plan de prévention des risques d'inondation. Or aux termes de l'article 7 du décret n° 95-1089 du 5 octobre 1995 relatif aux plans de prévention des risques naturels prévisibles, aujourd'hui repris à l'article R. 562-8 du code de l'environnement : « ( ... ) Les maires des communes sur le territoire desquelles le plan doit s'appliquer sont entendus par le commissaire enquêteur ou par la commission d'enquête une fois consigné ou annexé aux registres d'enquête l'avis des conseils municipaux. » Le tribunal a jugé que « que si le rapport de la commission d'enquête fait apparaître que des maires sont intervenus au cours de l'enquête publique, ni ce document ni aucune autre pièce du dossier ne permettent de vérifier que l'ensemble des maires des communes incluses dans le périmètre du plan de prévention des risques d'inondation prescrit ont été entendus par la commission d'enquête après avis des conseils municipaux ou que cette consultation, qui présente un caractère substantiel, a été rendue impossible que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière; »

De cette manière, la juridiction montre l'importance des règles de consultation préalable des collectivités territoriales décentralisées, et sanctionne implicitement le principe de participation reconnue à l'article 7 de la charte constitutionnelle de l'environnement

Par ailleurs, la juridiction sanctionne également dans cette espèce extrêmement pédagogique l'insuffisance du dossier d'enquête à raison de l'imprécision des documents graphiques annexés au plan de prévention des risques naturels, en jugeant « qu'il ressort des pièces du dossier que les documents cartographiques joints à l'arrêté attaqué ne permettent pas, compte tenu de l'échelle retenue et de la « texture» utilisée pour délimiter les différents zonages, d'apprécier avec précision la situation des parcelles situées en limite des zones de risque; que cette insuffisance avait d'ailleurs été relevée au cours de l'enquête tant par le public que par les membres de la commission d'enquête; que le rapport de la commission d'enquête retient en particulier que « l'échelle des plans n'est pas suffisamment précise pour discerner les zones constructibles ou non et de ce fait provoque de nombreuses réclamations qui n'en sont peut-être pas dans la réalité» et que le plan «présenté à l'enquête publique est difficilement applicable en l'état» ; que les membres de la commission soulignent qu'ils sont «particulièrement dubitatifs sur les possibilités de réponses explicites lors de l'instruction des demandes de certificats d'urbanisme et de permis de construire» ; que l'avis favorable a été émis sous réserve que plusieurs communes fassent l'objet d'examens plus approfondis; que, compte tenu de ces imprécisions importantes, les requérants sont, dès lors, fondés à soutenir que l'insuffisance du dossier soumis à enquête publique n'a pas permis au public d'avoir une connaissance complète du projet afin de lui permettre de présenter ses appréciations, suggestions et contre-propositions »;

Le tribunal aurait d'ailleurs pu s'arrêter à ce double constat d'un défaut de consultation des maires concernés et de l'insuffisance du dossier d'enquête faute de précisions cartographiques.

Pour autant, suivant en cela les collectivités requérantes, il a sans doute tenu à rappeler l'importance du principe de sécurité juridique qui conditionne un minimum de lisibilité des documents techniques annexés aux actes administratifs.

En jugeant que « que le plan de prévention des risques de la vallée de la Lawe vaut servitude d'utilité publique ainsi que le prévoit l'article L. 562-4 du code de l'environnement précité; que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, suppose, notamment ici à travers le document graphique annexé au plan de prévention des risques naturels d'inondation, de pouvoir identifier le plus précisément possible au niveau des parcelles, les risques d'inondation et, par suite, l'application de la servitude d'utilité publique; qu'ainsi qu'il a été dit, le document cartographique n'est pas suffisamment précis et ne permet pas dès lors d'atteindre cet objectif; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que pour ce motif également, la décision attaquée est entachée d'illégalité », le tribunal administratif de Lille apporte incontestablement une pierre à la fois à l'efficience du principe de sécurité juridique comme du contrôle de légalité en général des actes administratifs.

Ce jugement est donc très important à la fois pour les habitants de Bruay la Buissière et les menaces d'inondation permanente liée à la Lawe, pour les collectivités territoriales décentralisées et leur droit à participation effective aux décisions les concernant, mais aussi en termes de lisibilité des prescriptions administratives comme de leur contrôle par le juge.

Manuel GROS

Professeur à l'Université de Lille2

Avocat au barreau de Lille

Publié le 21 octobre 2011