Responsabilité contractuelle du maitre d'oeuvre et DGD

La Cour administrative d'Appel de Douai reconnaît que la signature du DGD d'un marché de maitrise d'oeuvre fait obstacle à l'engagement de la responsabilité contractuelle du maitre d'oeuvre. (CAA DOUAI, 22 juin 2017, n°15DA00590)
 

Le Cabinet est intervenu pour le compte d’un centre hospitalier dans un litige portant sur d’importants désordres survenus dans un EHPAD dont la construction avait été entreprise en 1993, et réceptionné avec effet au 13 mars 1995. Ces désordres consécutifs à des fuites, sont apparus en 2010, et rendait les locaux partiellement inhabitables.

Ce litige a été l’occasion pour la Cour administrative d’Appel de Douai de rendre un intéressant arrêt en matière de responsabilité contractuelle des maitres d’œuvre intervenant dans le cadre d’une opération de travaux pour le compte d’une personne publique.

En effet, compte-tenu des délais écoulés depuis la réception, empêchant de se situer dans le cadre de la responsabilité décennale des constructeurs, le centre hospitalier décidait d’engager la responsabilité contractuelle du maitre d’œuvre pour manquement à ses obligations de conseil et de surveillance.

On sait à cet égard que si la réception met fin aux rapports contractuels entre le maitre de l’ouvrage public et les maitres d’œuvre en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage, elle ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maitres d’œuvre soit recherchée à raison des manquements à leurs obligations de conseil du maitre de l’ouvrage public au moment de la réception des travaux ou des fautes commises dans le contrôle des situations de travaux servant au calcul des comptes des entreprises.

Naissait alors notamment un débat sur la prescription de l’action contre le maitre d’œuvre, le requérant considérant être parfaitement recevable, cette responsabilité pouvant être recherchée depuis la loi de 2008, pendant un délai de cinq ans courant à compter de la connaissance du dommage ou de son aggravation, dans la limite « de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit » conformément aux articles 2224 et 2232 du Code Civil, le défendeur affirmant quant à lui qu’elle serait de 10 ans à compter de la réception.

Le tribunal administratif de Lille avait tranché cette question délicate en faveur du requérant dans les termes suivants :

« les dispositions précitées de l’article 2227 du code civil ont été abrogées par la loi du 17 juin 2008 susvisée ; qu’ainsi, désormais, aucune règle applicable en droit public n’a pour effet de limiter à dix ans le délai dans lequel la responsabilité contractuelle des constructeurs est susceptible d’être recherchée ; qu’il suit de là, qu’en vertu des principes dont s’inspirent les articles 2224 et 2232 du code civil, seul un délai de prescription de droit commun de cinq ans à compter de l’apparition des dommages est opposable au maitre d’ouvrage ; que, toutefois, les modalités de décompte de ce délai ne peuvent avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter de la réception ou du décompte général et définitif  selon que sont en cause des dommages apparents causés à l’ouvrage ou les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché ; »

Le maitre d’œuvre ayant été condamné à indemniser partiellement le centre hospitalier, il interjetait néanmoins appel de ce jugement.

Alors que l’on pouvait s’attendre à ce que la Cour se prononce également sur le délai de prescription applicable à l’engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs, et plus particulièrement du maitre d’œuvre, épineuse question qui n’a à ce jour pas reçue de réponse de la Haute juridiction, elle n’a pas eu à se positionner dès lors qu’elle a considéré que le constat de la signature d’un décompte général et définitif suffisait à rendre la requête irrecevable.

La Cour fait ainsi prévaloir le principe d’intangibilité du décompte général et définitif dans les relations contractuelles entre le maitre d’ouvrage et le titulaire du marché, principe qui selon elle est applicable dans les relations avec le maitre d’œuvre. Elle a suivi en cela son rapporteur public qui s’appuyait sur un arrêt Région d’Auvergne du Conseil d’Etat (CE, 6 novembre 2013, n°361837).

La Cour applique ce principe y compris lorsque les manquements n’étaient pas connus au moment de l’adoption du décompte général et définitif du maitre d’œuvre, différence sensible avec l’arrêt précité qui n’avait eu à connaitre que de désordres déjà connus lors de son adoption.

Il résulte de cet arrêt que même dans les relations contractuelles avec un maitre d’œuvre, le principe d’intangibilité du décompte général et définitif fait obstacle à ce que le maitre d’ouvrage puisse réclamer l’indemnisation d’un préjudice né d’un manquement quelconque du maitre d’œuvre à ses obligations contractuelles, y compris à son devoir de conseil lors des opérations de réception.

Cet arrêt pose dès lors la question de l’effectivité de la responsabilité contractuelle du maitre d’œuvre pour manquement à ses devoirs de conseil lors de la réception notamment, dès lors que par définition, ces manquements qui ne se manifestent que par l’apparition de désordres, ne se révèlent que bien après la réception, et donc le plus souvent après l’intervention du décompte général et définitif qui le suit généralement de peu.

Publié le 18 mars 2019