Droit de retrait des agents publics et COVID 19

Vous êtes ici

Covid 19 et droit de la fonction publique : l’agent public peut-il exercer son droit de retrait à raison du Coronavirus dit COVID 19 ?  

Par Laëtitia LEPERS DELEPIERRE,

Avocat au Barreau de Lille

SCP GROS HICTER & associés

La crise sanitaire exceptionnelle actuelle pose de nombreuses questions et difficultés au quotidien pour les services publics. L’obligation de continuité des services publics entraine une obligation pour certains agents publics de poursuivre l’exécution de leurs missions.

L’administration est cependant tenue d’assurer la protection de ces agents et c’est dans ces conditions que se pose aujourd’hui la question de l’invocabilité du droit de retrait.

Initialement instauré exclusivement pour la fonction publique d’Etat (’article 7 du Décret n°95-680 du 9 mai 1995), puis étendu à la fonction publique territoriale (Décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale), le droit de retrait a parfois été reconnu comme principe général du droit par certaines juridictions (TA Amiens 7 juin 2007 Mme B. AJDA 2007 1833).

Aujourd’hui, le droit de retrait est défini à l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique dans les termes suivants :

« I. - L'agent alerte immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'autorité administrative ne peut demander à l'agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.

II. - Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux.

III. - La faculté ouverte au présent article doit s'exercer de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.

IV. - La détermination des missions de sécurité des biens et des personnes qui sont incompatibles avec l'exercice du droit de retrait individuel défini ci-dessus en tant que celui-ci compromettrait l'exécution même des missions propres de ce service, notamment dans les domaines de la douane, de la police, de l'administration pénitentiaire et de la sécurité civile, est effectuée par voie d'arrêté interministériel du ministre chargé de la fonction publique, du ministre chargé du travail et du ministre dont relève le domaine, pris après avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel compétent et de la commission centrale d'hygiène et de sécurité du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat. »

Le droit de retrait correspond donc à la possibilité pour les agents publics (notons que celui-ci est également invocable pour les homologues de droit privé sur la base de l’article L. 4132-1 du Code du travail issu de la directive cadre européenne n° 89/391/CEE du 12 juin 1989 du conseil des communautés européennes), de refuser d’exercer ses missions et quitter son poste de travail s’il estime raisonnablement être dans une situation lui faisant courir un danger grave et immédiat pour sa vie et sa santé ou toute défectuosité dans les systèmes de protection constatés.

Dans pareil cas, l’agent doit en premier lieu avertir l’autorité administrative de cette situation. Le Conseil d’Etat a précisé que cette obligation n’est pas soumise à la preuve d’une information écrite de la part de l’agent (CE 11 juillet 1990 n° 85416). Se posera toutefois la question de la preuve de l’avertissement personnel de l’agent.

L’agent peut également solliciter un membre du CHSCT, lequel avertira le chef de service et mettra en œuvre la procédure prévue par les articles 5-5 et 5-7 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique impliquant une enquête sur la réalité du danger et les mesures à prendre le cas échéant.

  

L’utilisation du droit de retrait doit être justifiée afin d’éviter une mise en demeure de reprise des fonctions avec saisie sur le traitement pour absence de service fait sur une période donnée voire des poursuites disciplinaires, l’administration pouvant considérée l’usage du droit de retrait comme abusif s’il ne remplit pas les conditions (cf. pour illustrations validées par le juge administratif d’un usage injustifié du droit de retrait : CAA Lyon, 19 décembre 2017, n° 15LY01133 ; TA Melun 12 mars 2014, n° 1204144).

Les dispositions précisent qu’ « aucune sanction ne peut être prise, aucune retenue de rémunération ne peut être effectuée à l’encontre d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou pour leur santé ».

Les conditions réglementairement fixées doivent donc être cumulativement remplies, à savoir l’existence d’un danger grave, à distinguer du risque habituel, et imminent, c’est-à-dire ne pas se limiter à une possibilité ou éventualité, pour sa vie ou sa santé.

Le danger grave est défini par la circulaire du 25 mars 1993, rappelé par la circulaire du 12 octobre 2012 (INTB1209800C) comme «  un danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée ».

La gravité s’apprécie donc en fonction des conséquences permanentes ou temporaires de façon prolongée, dépassant le simple « inconfort ».

Le danger imminent est quant à lui défini comme « susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché. L’imminence du danger suppose qu’il ne se soit pas encore réalisé mais qu’il soit susceptible de se concrétiser dans un bref délai »

L’autre hypothèse est celle où l’agent constaterait la défectuosité des systèmes de protection.

C’est précisément sur ces deux points que la difficulté se pose s’agissant du Covid 19.

L’analyse du droit de retrait doit être effectuée au cas par cas pour chaque agent, l’existence de la pandémie actuelle ne justifiant pas de  façon générale un droit de retrait pour l’ensemble des agents publics.

Se posera par exemple la question du respect des préconisations gouvernementales, d’un risque réel de contact avec le public potentiellement atteint, les mesures de protection spécifiques mises en place (masques, mesures d’éloignement …), la situation géographique dans une zone particulièrement touchée (dite « cluster »), mais également le profil de l’agent considéré comme personne à risque en raison d’une affection particulière, de son âge ou d’une femme enceinte.

L’administration, comme le juge en cas de contentieux, dispose d’un pouvoir d’appréciation sur la situation précise de l’agent et la réalité d’un danger grave et imminent.

Il est à noter que les agents de la fonction publique hospitalière sont dans une situation très spécifique. En effet ils sont, dans le cadre de l’exercice normal de leurs missions, systématiquement exposés à des agents biologiques infectieux, le seul motif d’un risque d’exposition ne peut donc permettre de justifier le droit de retrait. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé le Tribunal administratif de Versailles s’agissant du risque de contagion au VIH ou de l’hépatite virale B (TA Versailles 2 juin 1997, Hadjab et autres / Administration générale de l’Assistance publique de Paris, inédit au recueil Lebon ).

De même le Ministre l’avait explicitement indiqué dans la circulaire du 26 aout 2009 BCFF0919655C :

« En outre, les personnels qui sont exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle (personnels de santé ; personnels chargés du ramassage et du traitement des déchets par exemple), parce qu’ils sont systématiquement exposés à des agents biologiques infectieux du fait même de l’exercice normal de leur profession (risque professionnel) ou parce que leur maintien en poste s’impose pour éviter toute mise en danger d’autrui, ne peuvent légitimement exercer leur droit de retrait, au seul motif d’une exposition au virus à l’origine de la pandémie. » 

Sur le fondement de ces deux illustrations, il semble donc que le droit de retrait soit difficilement envisageable pour les agents de la fonction publique hospitalière, du moins sur le fondement du danger grave et imminent.

Evidemment, la situation actuelle pose de nouvelles questions, totalement inédites dans un domaine assez peu défini en jurisprudence à l’heure actuelle, et notamment sur la question de la suffisance des mesures de protection et leur éventuelle défectuosité y compris dans les établissements de santé.

On rappellera la limite importante fixée au droit de retrait : à savoir ne pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.

La disposition est large, elle vise aussi bien les autres agents publics que les usagers, ou de façon générale les tiers.

Ainsi, malgré le manque de protection dénoncé par certains établissements de santé, les quelques exemples jurisprudentiels incitent à la précaution dans l’exercice du droit de retrait, y compris dans une situation exceptionnelle comme aujourd’hui.

On notera une illustration intéressante assez récente du juge judiciaire considérant qu’une sanction de mise à pied pour trois jours intervenue  en conséquence d’un exercice légitime de son droit de retrait était injustifiée et abusive, s’agissant en l’occurrence du risque pour un salarié SNCF d’inhaler des particules d’amiantes sans formation spécifique (CA Aix-en-Provence, 24 janvier 2019, n° 17/04664).

Les agents de la fonction publique hospitalière ont intérêt à user de leur droit d’alerte davantage que le droit de retrait qui risque d’être considéré comme non justifié au sens des dispositions précitées, et pour lesquels la question de la continuité du service mais également du risque de générer plus de dangers pour autrui posera vraisemblablement difficulté.

 

Pour les agents des autres fonctions publiques, c’est une analyse au cas par cas qui doit être menée avec toutes les précautions pour éviter des sanctions disciplinaires ou retenues sur traitement.

La méconnaissance des préconisations gouvernementales dans la situation actuelle devrait en revanche permettre aux agents d’user de leur droit d’alerte et le cas échéant droit de retrait, toujours à la condition d’une justification d’un danger grave et immédiat.

Il ne fait guère de doute que la situation actuelle entrainera des précisions attendues sur le régime du droit de retrait des agents publics, ainsi que sur l’appréciation du juge administratif sur cette notion de danger grave et immédiat.

Publié le 08 avril 2020